jeudi 26 mars 2009

WARHOL SUPERSTAR !


Le père du pop art voulait être un produit. A l'occasion de deux expositions, retour sur une icône et un système où puisent sans fin les artistes, tous domaines confondus.
New York, cathédrale Saint Patrick, 1er avril 1987 : une cérémonie funèbre célèbre la mémoire d’Andy Warhol, 58 ans, décédé dix jours plus tôt au New York Hospital des suites d’une banale opération chirurgicale. “There’s a funeral tomorrow at St. Patrick’s”, chante Lou Reed dans Dime Store Mystery, titre où l’on retrouve l’ambiance sonore du premier Velvet Underground. Pour la circonstance, pour “ce jour où la Factory mourut”, tout le gotha de l’art, de la pop culture et de la jet-set se donna un ultime et spectral rendez-vous : Paloma Picasso, le banquier Claus von Bülow, les artistes Roy Lichtenstein, David Hockney, Keith Haring, Yoko Ono, qui fit un discours, Diane von Furstenberg, ou encore Debbie Harry, Calvin Klein, Raquel Welch, Bianca Jagger, Liza Minnelli… le tout retransmis sur la chaîne de télévision Andy Warhol’s Fifteen Minutes.
A dire vrai, la guest-list des people warholiens s’allonge encore d’une myriade de noms encore plus improbables si l’on songe, du chah d’Iran à Caroline de Monaco, du patron de Fiat Giovanni Agnelli, à l’ancien Président Jimmy Carter, à tous ces gens “rich & famous” qui se sont fait fluoriser le portrait à la Factory – pas celle aux murs argentés des années 60, quand Warhol, entouré de ses Superstars névrosé(e)s, est aussi le producteur du Velvet Underground, mais la deuxième Factory, celle des années 80, véritable entreprise où sont débitées les sérigraphies à 25000 dollars pièce : “Après l’art, il y a le business art. Au début, j’étais un artiste publicitaire, et à la fin je voudrais être un artiste d’affaires.”
A l’évidence, ce parterre de célébrités n’est pas seulement signe de notoriété, il révèle surtout ce qu’était devenu Warhol à la fin de sa vie : pas seulement un artiste et cinéaste, d’ailleurs lâché par les avant-gardes conceptuelles qui dénoncent sa dérive médiatique, mais aussi une icône, un people, un style de vie, un système et une philosophie aussi plate qu’un écran télé. Warhol devient même dans ces années un média à lui tout seul : fondateur du magazine Interview, créateur d’une chaîne de télévision sur le câble, Warhol joue son propre personnage dans un épisode de La croisière s’amuse, entre comme mannequin à l’agence Ford et se transforme en argument publicitaire : pour les cassettes TDK, pour la vodka Absolut, les lunettes Eyeworks, pour Sony, Coca-Cola, Chanel, la compagnie d’aviation Braniff, la Coccinelle Volkswagen ou les voitures Daimler-Benz, elles aussi fluorisées.
Décrié de son vivant pour cette logique commerciale, taxé de cynisme ou de superficialité, Andy Warhol fait en revanche plus que l’unanimité aujourd’hui et on le retrouve mis à toutes les sauces de l’industrie culturelle. Rares sont les artistes capables d’infuser à ce point les mentalités, et dont on repère à la fois l’oeuvre, la figure et l’influence à tous les étages de la société : invoqué par le monde de la télévision comme un génial animateur de plateau et un précurseur de la télé-réalité, prophète du “quart d’heure de célébrité” offert à tout un chacun, plagié par des milliers d’internautes qui peuvent créer leur propre portrait fluo grâce au logiciel The Warholiser, et célébré par toute la communauté artistique contemporaine pour avoir su élargir les frontières de l’art au-delà de l’imaginable. Ainsi la figure de Warhol se propage-t-elle désormais aussi bien dans les sculptures pop et acides de Jeff Koons, artiste auquel on fait d’ailleurs les mêmes reproches qu’à Warhol, qu’au générique des émissions de Thierry Ardisson ou derrière le masque du vrai-faux écrivain J. T. Leroy.
D’autres ne cessent de voir en lui le révélateur morbide de l’Amérique et d’une société du spectacle dont il a pu révéler le glamour et la vacuité, l’ombre et le brillant, à l’image de sa série de toiles Shadows où le noir se mêle à la poussière de diamant. Repris par tous, et en tous sens, offert à toutes les interprétations et les réappropriations, le sphinx du pop art est aujourd’hui une icône et un spectre, le miroir énigmatique, glacé et glaçant, de notre époque : “J’aimerais avoir une tombe sans rien dessus. Pas d’épitaphe. Pas de nom. J’aimerais en fait qu’on écrive dessus : produit.” De grande distribution.

Warhol TV, jusqu’au 3 mai à La Maison rouge, 10, boulevard de la Bastille, Paris XIIe, www.lamaisonrouge.org
Le Grand Monde d’Andy Warhol, du 18 mars au 13 juillet aux galeries nationales du Grand Palais, Paris VIIIe, www.legrandmondedandywarhol.com

les inrocks

Aucun commentaire: