lundi 2 mars 2009

TOUJOURS DANIEL MENDELSOHN !


Deux ans après un premier succès en France avec «Les Disparus», Daniel Mendelsohn publie un récit autobiographique écrit il y a dix ans. Un témoignage riche et intrigant, qui fait couler beaucoup d'encre cette semaine dans la presse.
En 2007, Daniel Mendelsohn rencontra le succès en France avec son livre Les Disparus (prix Médicis), consacré à la quête de sa famille massacrée par les nazis en Ukraine... Cet écrivain, à la fois juif, gay, et professeur de grec ancien dans une université américaine, publie aujourd'hui L'Etreinte fugitive, un premier récit autobiographique écrit il y a dix ans aux Etats-Unis. On l'y découvre partageant son temps entre Chelsea, le quartier gay de New York, où il collectionne les amants, et une banlieue résidentielle du New Jersey, où il élève le fils d'une amie, qui lui a demandé de jouer le rôle de «modèle masculin». Un témoignage atypique, et par définition daté, qui a fait couler beaucoup d'encre dans la presse cette semaine.
«Backrooms et couches-culottes»
Mais «cette existence qui balance entre backrooms et couches-culottes, entre boîtes de nuit et petits pots, n'est pas une "double vie" au sens où on l'entend d'habitude, estime Thomas Wieder dans Le Monde , Car Mendelsohn n'aime ni le mensonge ni les faux-semblants. Il vit pleinement ses deux vies, celle de l'intello-new-yorkais-juif-homosexuel et celle du parfait-père-de-famille-américain».

De cette identité «hybride», Mendelsohn délivre au final «une réflexion sur la famille, sur l'amour d'un fils pour son père et d'un père pour son enfant», apprend-t-on dans L'Express . Ce qui fait dire à Philippe Coste : «son livre a été sévèrement traité par une certaine presse gay, mécontente de son regard atypique sur la cause et les ambiguïtés de l'identité homosexuelle...»


L'homosexualité «aussi fréquentée que les pentes de l'Himalaya»
Mais pour Dominique Fernandez, du Nouvel Observateur, cet ouvrage est peut-être «très gay», mais justement «paraît bien plat aujourd'hui» ! «Ecrit il y a dix ans, il devait être excellent alors, mais il arrive trop tard en France, juge le critique, car cette question de l'identité des gays, de leur psychologie, de leurs habitudes, de leur rôle dans la société, on a l'impression de l'avoir déjà lue cent fois (...) L'homosexualité n'est plus un territoire secret, elle est devenue aussi fréquentée que les pentes de l'Himalaya». Ajoutant : «Constater que le sexe pour les gays peut être et se trouve être le plus souvent distinct de l'affect, en sorte qu'il se suffit fort bien à lui-même, sans fioritures sentimentales, est faire part d'une évidence indiscutable».

Dans un long entretien accordé au magazine culturel Transfuge , Daniel Mendelsohn (ci-contre) note ainsi : «Il est frappant de voir combien, parmi les homosexuels que je connais, le plaisir et la luxure sont une préoccupation intense, avec toujours la sensation de se sentir à part et comme faisant partie d'une "élite". La plupart des homosexuels - du moins jusqu'à très récemment - grandissent dans une culture d'hostilité permanente et blessante, dans une amertume qui fait qu'ils ne sentent pas à la hauteur et honteux. C'est un sentiment naturel pour beaucoup d'entre nous. Quand nous vieillissons et que nous devenons enfin libres, nous voulons nous "amuser" bien davantage, pour compenser les blessures du passé ».

« Il me fallait écrire sur moi-même »
C'est sûr, l'homosexuel Mendelsohn est en souffrance, oscillant entre superficialité des plaisirs - «Il est rare que je rencontre un type qui soit plus intéressant qu'un livre, et franchement, je préfèrerais lire un livre, la plupart du temps» - et quête de sens dans la filiation : «quand mon fils aîné est né, je me suis soudain senti comme étant le maillon d'une sorte de chaîne, relié au reste de l'humanité pour la première fois».

Mais l'homme tient à préciser qu'il n'écrit pas «pour mettre de l'ordre» dans son histoire : «Pour cela, j'ai mon psychothérapeute». En tout cas pour lui, l'écriture autobiographique est apparue comme une nécessité : «Quand j'ai commencé ce roman, au milieu des années 90, beaucoup de livres étaient écrits à propos de la culture homosexuelle, de l'identité homosexuelle, en théorisant sur le fait que cette culture et cette identité étaient des abstractions politiques - «assimilationnistes», «queers»... Mais, à mon avis, pour parler de l'expérience homosexuelle, il me fallait écrire sur moi-même, sur une personne donnée vivant dans un lieu donné à un moment donné ».

«Le monde des statues sans tête»
Ce qui n'empêche pas l'écrivain de décrire «avec finesse les mœurs homosexuelles de New York», savoure notre collaborateur Baptiste Liger dans Lire , rappelant également que « cet aristotélicien revendiqué intègre dans l'autobiographie toute sa connaissance de l'Antiquité. Il en tire une réflexion tout en finesse sur la beauté, l'altérité, le temps, le désir, l'éducation ou la famille. Et cette érudition est mise en lumière par de longues phrases, belles et sinueuses, où l'on passe d'Ovide aux «tchats» sur Internet, d'Euripide aux backrooms».
D'ailleurs Mendelsohn rappelle dans son interview : «Je suis particulièrement fasciné par les statues qui ont perdu leur tête, ou leurs yeux, ou une partie de leur visage qui normalement leur donne une [removed]...) Dans mon livre, je me suis particulièrement centré sur cette idée dans un passage où j'insiste sur l'importance considérable accordée à un certain type de corps (à une certaine "période", dans les années 80 et 90, dans la culture homosexuelle américaine du moins) et combien le corps (qui était censé suivre un certain "type") était beaucoup plus important que le visage (qui est précisément ce qui confère une individualité). Alors que j'écrivais mon livre, mon expérience de la culture homosexuelle mettant l'accent sur l'érotisme du corps lui-même m'a renvoyé au monde de mes Grecs, le monde des statues sans tête».

tetu.com

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