mardi 3 mars 2009

MYSTERIOUS SCOTT !


Provoquant, étrange et dérangeant, Scott Heim explore dans son premier roman, ‘Mysterious skin’, la confusion identitaire, l’amour et le désir, le danger et la perte, sur fond d’horreur pédophile. L’étoile montante de la littérature nord-américaine nous offre une plongée en apnée dans son univers parallèle.
La France a d'abord découvert le film tiré de votre premier roman, 'Mysterious Skin'. Comment vivez vous leur succès respectif ?
C'est à la fois un honneur incroyable et une surprise pour moi, car tout ceci arrive plus de dix ans après la première publication du livre aux Etats-Unis. J'ai toujours souhaité une traduction du roman en français
Vous avez démontré votre habileté pour aborder des sujets sensibles d'une manière assez inédite. Comment avez-vous réussi à progresser sans pour autant donner de leçons ?
Je pense qu'un livre est beaucoup plus intéressant si l'écrivain ne s'appuie pas sur un plan politique pour obscurcir l'importance du développement d'un personnage et de l'intrigue. Je ne voulais surtout pas écrire un livre où il y a des bons et des méchants bien distincts. La vraie vie, ce n'est pas ça et donc, je voulais faire une histoire aussi réaliste et sincère que possible. Je ne voulais pas avoir recours à la création de personnages désincarnés, qui ne soient que des réponses ou des leçons. Je veux qu'en finissant le roman, le lecteur comprenne comment ces événements ont conditionné la vie de deux garçons pendant dix ans. Si le lecteur a tiré une sorte de leçon ou de morale de l'histoire, c'est bien mais je ne crois pas que ce soit à moi de l'imposer au lecteur.
Selon les pays, il semble que le film ait été perçu différemment. En effet, certaines scènes qui ont choqué en France (les relations sexuelles entre Neil et l'entraîneur par exemple) ont déclenché les rires en Angleterre. Finalement, quelle était votre intention première ? L'ironie ou la volonté de montrer la réalité crue ?
Certaines des scènes dans le roman et le film sont si dérangeantes pour certaines personnes qu'à mon avis, se détourner ou rire est une réponse naturelle. Je voulais superposer l'horreur, la tristesse et les éléments dérangeants à des images d'innocence, de pureté, des images étranges… Par exemple, juxtaposer la première scène de sexe entre Neil et l'entraîneur avec des images colorées de céréales pour le petit déjeuner, de jeux vidéos et d'autres symboles de l'enfance. Pour moi, mettre ainsi ensemble deux extrêmes ne rend pas seulement la réalité plus forte mais renforce aussi chacun des ces extrêmes. J'ai essayé de mettre ce type de constructions tout au long du roman.
Dans quelle mesure avez vous été impliqué dans l'adaptation de Gregg Araki pour le cinéma ? Avez-vous contribué à cet excellent casting qui correspond si bien à ce qu'imagine le lecteur ?
J'étais impliqué aussi bien directement qu'indirectement. Une autre maison de production voulait faire le film et j'avais écrit un script pour eux. Ce projet n'a pourtant pas abouti. Pendant ce temps, Gregg et moi sommes devenus amis. Je savais qu'il voulait faire le film et il a rapidement commencé à écrire sa propre adaptation qui, assez étrangement, était plus proche du roman que l'était mon propre script. Donc, quand tout a été prêt pour démarrer le film, j'ai pas mal travaillé avec Gregg sur des idées, et discuté de divers éléments de l'intrigue ou des décors qui lui posaient problème. Juste avant le tournage, Joseph Gordon-Levitt, l'acteur qui joue Neil, est venu avec moi au Kansas pour découvrir les lieux dans lesquels j'ai situé une grande partie du livre. Il a rencontré mes amis et ma famille. C'était important pour lui de me connaître et de connaître l'endroit où j'ai grandi. C'était important pour moi, et je pense que ça l'était encore plus pour lui pour être dans la peau du personnage. J'ai aussi passé beaucoup de temps avec Gregg et les enfants du casting quand le film était diffusé dans différents festivals et faisait ses débuts aux Etats-Unis. C'était excitant pour moi, je sentais que je m'étais fait des amis pour la vie grâce à cette expérience, et c'est très rare pour un romancier dont le livre a été adapté au cinéma.
Gregg Araki a toujours écrit lui même ses films. L'adaptation du livre de quelqu'un d'autre est une exception. Etes vous fier qu'il ait choisi votre roman ?
Oui, très fier. Je suis extrêmement heureux et satisfait du film qu'il a réalisé. Je pense que c'est le compliment suprême de la part d'un réalisateur de rester fidèle aux sources de son inspiration, et c'est exactement ce que Gregg a fait.
Si vous deviez choisir, quel personnage seriez-vous et pourquoi ?
C'est une question difficile. J'ai mis beaucoup de moi même et de mes expériences dans les personnages de Brian et Neil, mais aussi dans ceux d'Eric et Wendy. Il y a eu des périodes pendant mon enfance et mon adolescence où je me suis comporté et j'ai ressemblé à ces différents personnages. Par dessus tout, je crois que depuis que j'ai écrit le livre, je ressemble un peu plus à Eric. Si je devais réutiliser ces personnages, je pense que j'écrirais de nouveau quelque chose sur lui.
Vous aimez l'horreur, quelque soit la forme qu'elle prend. Vous allez plus loin dans cette voie dans votre second roman, In Awe, fortement inspiré par les films d'horreur. Qu'est ce qui explique une telle attraction ?
Ma mère adorait réellement les films d'horreur. Quand nous étions enfants, ma soeur et moi, nous les regardions toujours avec elle. Ces expériences semblent modeler les sujets sur lesquels j'écris pour diverses raisons. J'adore le sentiment qu'on ressent quand on est immergé dans un film d'horreur psychologique vraiment bon et morbide, et je crois que je veux transmettre ça dans ce que j'écris, en espérant que le lecteur pourra ressentir le même sentiment que moi.
Le 'New York Times Magazine' vous a élu comme l'un des "30 artistes de moins de 30 ans les plus à même de changer notre culture dans les 30 prochaines années". Est-ce un rêve qui devient réalité ?
Oui, c'était une formidable expérience. Mais ça signifie que j'ai quelque chose à fêter, le fait que des gens attendent de grandes choses de moi. Quand mon deuxième roman n'a pas eu le même succès, j'ai été très déçu. Ça me contrarie maintenant que les articles de mes premiers écrits aient été aussi élogieux car ils m'ont malheureusement exposé à la déception, et c'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai été aussi long à écrire un autre livre. Mais les choses se sont bien passées ces deux dernières années, et je me sens presque accompli avec 'We disappear', mon troisième roman.
Quand vous écrivez, imaginez-vous votre futur lecteur ? A quoi ressemble-t-il dans votre esprit ?
C'est probablement quelqu'un de très calme et d'étrange, avec des lunettes, qui rêve éveillé.
Propos recueilli par Faustine Amoré pour Evene.fr - Novembre 2005

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