lundi 11 mai 2009

HOUELLEBECQ ET IGGY !


L'un écrit des livres et a sorti un disque. L'autre sort des disques, mais sa vie est un roman. Le prochain album d'Iggy Pop est ouvertement influencé par l'écriture de Michel Houellebecq. Depuis le temps qu'ils s'admirent, il fallait qu'ils se rencontrent. Et parlent de leurs chiens.
Il y a très exactement neuf ans, dans la semaine du 25 avril 2000, ce magazine offrait la une de son numéro 240 à Michel Houellebecq, sous le titre “Houellebecq rock-star ? ». L’écrivain (et rock-critic à l’occasion) venait d’enregistrer un album de poèmes mis en musique. Dans l’entretien, il déclarait notamment : “J’ai très bien marché aux mythes forts du rock, je ne me vois pas discuter avec Iggy Pop ou Lou Reed. J’imagine bien qu’Iggy Pop existe en vrai, mais je n’arrive pas à me faire à l’idée qu’il est réel.”
Neuf ans plus tard, Michel Houellebecq et Iggy Pop se rencontrent pour la première fois dans un bar d’hôtel parisien, pour l’entretien croisé qui suit. Tout est devenu possible, grâce à La Possibilité d’une île, le dernier roman de Houellebecq. Quand l’info a commencé à circuler, on a d’abord cru à un canular : Iggy Pop (rock-star sans point d’interrogation) s’apprêtait à sortir Preliminaires, un nouvel album inspiré par La Possibilité d’une île. Plus précisément : Iggy Pop a d’abord été sollicité pour composer la musique d’un documentaire sur le tournage de La Possibilité d’une île, le film. Un an plus tôt, Iggy Pop avait lu et aimé le roman. Du coup, il a poussé l’exploration de l’île jusqu’à l’enregistrement d’un album complet. Qu’Iggy Pop ait aimé La Possibilité d’une île, c’est assez fatal : il y a quarante ans, sur la première face de son premier album avec les Stooges, il enchaînait I Wanna Be Your Dog, We Will Fall et No Fun – des formules qui sonnent aujourd’hui comme des prophéties de titres de chapitres houellebecquiens. En retour, le premier album des Stooges a profondément marqué Michel Houellebecq.
Entre l’humain las Michel Houellebecq et l’éternel rock’n’roll animal Iggy Pop, le courant est passé – même si le voltage est incertain. Ils ne se ressemblent pas, non. Mais chacun s’est retrouvé dans l’œuvre de l’autre, au bord de l’amer. Pendant que Houellebecq tournait son film sur les rivages volcaniques de Lanzarote, Iggy Pop était peut-être en face, dorant son corps d’iguane au soleil de Miami (où il vit). Deux artistes insulaires et exigeants, préoccupés par les correspondances entre l’art et la vie, le dépassement de soi, et le bonheur des chiens.
Michel, comment te sens-tu face à Iggy Pop ?
Michel Houellebecq – C’est une expérience étrange et totalement heureuse. Je prends une bière avec Iggy, il a fait cet album inspiré par mon livre… Je l’ai découvert quand j’avais 15 ans, en achetant 1969 des Stooges. A cet âge-là, les adultes, c’est un autre monde. Et s’ils sont célèbres, comme les rock-stars, on ne peut même pas imaginer de les rencontrer. C’est très étrange, mais il m’est arrivé quelque chose d’encore plus étrange. J’ai reçu un email de Nikita Mandryka, un auteur de bandes-dessinées dont je lisais les livres quand j’avais 8 ans (dessinateur de la série Le Concombre masqué). Pour moi, ce homme n’existait pas, il était quelque part, je ne sais pas où. Il m’a fallut trois emails pour que je me persuade qu’il était le vrai Mandryka. C’est un peu la même chose avec Iggy Pop.
Que représente-il pour toi ?
Un des chocs esthétiques de ma vie. Rencontrer Iggy, c’est comme si je rencontrais Baudelaire ou Dostoievski, mes découvertes de ces années-là. 1969 fut une expérience définitive. Je me souviens très bien du magasin où j’ai acheté le disque, c’était à Meaux. Je me souviens de ce moment précis, quand le type a mis le disque sur la platine et que je l’ai écouté au casque. Le plus profond, c’est la proximité que j’ai éprouvée, plus que l’admiration. Ce n’était pas 1969 mais 1973. Ce n’était pas “all across the USA” mais c’était la France. C’était “Another year for me and you, another year and nothing to do”… Je n’avais pas 21 ans mais 15 ans… C’est comme si j’avais pu écrire cette chanson. C’est ce qu’on cherche dans l’art, fondamentalement : quelque chose qui exprime notre expérience de la vie.
Une des chansons des Stooges, qui est devenu un slogan, s’appelait No Fun. T’es-tu identifié à ces deux mots ?
Oui, mais c’est difficile de parler de ces choses. Je m’identifie aussi à I Wanna Be Your Dog, j’ai des sentiments profonds pour les chiens… Je me souviens de plein de chansons, mais le premier moment est le plus important, je le garderai jusqu’à la fin de mes jours.

les Inrocks

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