lundi 2 novembre 2009
D'où viennent les hétéros ?
Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus. Leurs relations en pâtissent un peu parce qu’elles ne savent pas lire une carte routière, mais au fond ils s’aiment, leurs cerveaux sont faits pour ça et c’est ainsi depuis l’âge des cavernes. Un livre aussi stupide n’aurait sans doute pas pu voir le jour – et devenir un best-seller mondial – si l’hétérosexualité n’avait pas été depuis son invention un angle mort des sciences sociales. Invention d’ailleurs assez récente, que vient disséquer un ouvrage collectif et salutaire, sobrement intitulé Hétéros.
“La force du concept d’hétérosexualité, qui a été imposé par le pouvoir médical au XIXe siècle, c’est d’avoir fait croire que ce mode d’organisation sociale existait depuis la préhistoire, qu’il était naturel”, analyse l’historienne Christelle Taraud, qui a codirigé l’ouvrage. Or il n’en est rien, comme le démontrent les nombreuses contributions qui composent Hétéros. Conceptualisée au tournant d’une époque “où le médecin hygiéniste venait se substituer au prêtre”, l’hétérosexualité naît en opposition à l’homosexualité qui fait elle-même son apparition dans la littérature médicale des années 1860. “Nous avons voulu faire sortir l’hétérosexualité de l’ordre de la nature pour la faire rentrer dans l’ordre du temps”, explique Louis-Georges Tin, l’un des contributeurs et rares universitaires à avoir déjà publié sur le sujet (L’Invention de la culture hétérosexuelle, 2008).
Alors que les “causes” de l’homosexualité ont fait l’objet des recherches les plus fantasques, avec des conséquences parfois désastreuses, l’attirance jugée normale pour le sexe opposé n’a jamais été interrogée. Pas plus que la célébration du couple homme-femme qui n’émerge en Occident qu’à la fin du XIe siècle, quand le couple hétéro se substitue aux amitiés masculines chevaleresques dans l’imaginaire collectif.
Au-delà du concept, et c’est là tout son intérêt, le livre se concentre sur les pratiques de l’hétérosexualité, à travers la danse, les lieux de drague, l’armée, la prison… Une mosaïque d’où ressort une multitude de pratiques mouvantes que la rigidité d’une identité hétérosexuelle unique et compacte semble incapable de contenir. “L’hétérosexisme est une norme qui s’applique d’abord aux hétéros qui en sont les premières victimes”, résume Louis-Georges Tin. Une opacité que l’intérêt croissant des gender studies pour la question hétéro devrait venir éclairer, suivant le même mouvement qui a donné naissance au sein des études postcoloniales aux white studies, passant de l’étude de la marge à celle de la norme supposée.
Hétéros – Discours, lieux, pratiques sous la direction de Catherine Deschamps, Laurent Gaissad, Christelle Taraud (Epel), 222 pages, 24 €
L’Invention de la culture hétérosexuelle de Louis-Georges Tin (Autrement), 200 pages, 20 €
lesinrocks.com
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