dimanche 6 septembre 2009

OUI MA FILLE, TU IRAS VOIR LE NOUVEAU CHRISTOPHE HONORE !


Difficile de définir le nouveau film de Christophe Honoré, tant il est divers, hétérogène, symphonique. Et donc riche. Peut-être y a-t-il même plusieurs films tapis dans ce portrait déchiré d’une femme d’aujourd’hui, tiraillée entre ses désirs et les devoirs qu’autrui (sa famille, la société) veut lui imposer.

Quand le film commence, tout est déjà joué, nous arrivons après la bataille : à la gare Montparnasse, Anton, le jeune garçon de Léna (Chiara Mastroianni – nous parlerons plus loin en détail de son travail d’actrice), s’est éloigné de sa mère et de sa sœur ; elles ne le trouvent plus. Mais il n’était pas loin ; ouf. Léna vient de divorcer de Nigel (Jean-Marc Barr), qui la trompait. Elle part en vacances chez ses parents (de ces parents qu’Honoré a toujours su décrire avec à la fois cruauté et tendresse), mais ignore encore qu’ils ont invité son ex-mari à les rejoindre pour qu’il puisse voir ses enfants, qu’il n’a pas vus depuis six mois…

Tout est joué et pourtant le ton du film nous surprend : entre comédie à la Pascal Thomas, violence familiale et mentale à la Desplechin, le tout enveloppé dans une sorte de suspense hitchcockien soutenu notamment par la musique dramatique d’Alex Beaupain. Le récit défile vite, multipliant les personnages secondaires – tous finement dessinés (la sœur de Léna, son frère, leurs conjoints et enfants, un amant de passage) –, les décors (la nature vibre, ondoie), les petits conflits, ressassements et intrigues familiaux, les récits en voix off. Les personnages sont en mouvement, les répliques claquent comme des fouets (parfois un peu trop systématiquement, comme au Boulevard – c’est notre seul reproche).

Tout cela vit, bouge, fait rire et pleurer, tandis que la mort rôde (le père se sait condamné), que les mythes (bretons) remontent à la mémoire, qu’un drame annoncé advient soudain, qui nous cloue sur place et nous foudroie, mais on ne s’attarde jamais, chez Honoré, on est déjà ailleurs. La tension monte, Léna n’en peut mais, contrainte de changer de décisions et d’avis comme de chemise, acculée par l’amour étouffant des autres à ne plus pouvoir choisir. Leurs principales armes : la parole, la culpabilisation, le double bind (ces injonctions paradoxales qui annihilent toute volonté).
Le film d’Honoré tisse ainsi, peu à peu, le portrait sociétal et psychologique d’une société occidentale très archaïque et faussement évoluée, qui ne laisse aucune chance aux mères : elles doivent être parfaites mais pas trop, se consacrer à leurs enfants sans fusionner, imposer leur autorité mais ne pas écraser, éduquer leurs enfants et les ouvrir au monde tout en les protégeant. Léna ne sait plus où donner de la tête. Et ses désirs à elle, qui voulait tout de la vie, à qui on a peu à peu tout retiré ?
Réapparaissent en filigrane ces personnages plein de vitalité, assoiffés de vie, à qui l’on reproche toujours de ne pas souffrir suffisamment ou assez longtemps, de retomber trop vite sur leurs pattes. Que faire de sa vie ? La vivre dans sa totalité, en égoïste, ou la consacrer aux autres ? A-t-on vraiment la possibilité de choisir ? La fin, très sombre, laisse la porte ouverte. Sur une suite ? Ou sur un retour du même infini ?
Chiara Mastroianni, au milieu d’une troupe d’acteurs visiblement investis (Marina Foïs et Jean-Marc Barr – qui n’ont jamais été aussi bons –, Marie-Christine Barrault et Fred Ulysse – réellement sublimes), impressionne. Dans la continuité de ce qu’elle faisait dans Un chat, un chat de Sophie Fillières, mais aussi, plus subtilement, dans Le crime est notre affaire de Pascal Thomas, elle est tout simplement géniale. Elle a trouvé, consciemment ou pas, sa voie d’actrice. Elle a bien compris qu’elle n’échapperait jamais, à cause de son visage, à son ascendance.
Alors elle joue de ce qui n’appartient qu’à elle : de ses sourcils volontiers inquiétants (on pense parfois à Joan Crawford, à la sorcière de Blanche-Neige de Disney), de la couleur de ses cheveux, de leurs reflets plus ou moins rouges, châtains ou noirs, pour assombrir ou éclairer au contraire son personnage, passer des scènes de comédie aux scènes de drame. Et surtout, comme chez Fillières, elle semble se diviser, créer un désaccord entre le haut et le bas de son corps, jouer de sa démarche à petits pas, si généreusement cadrée par Honoré, pour exprimer les contradictions internes de son personnage. C’est très fin, d’une grande intelligence – et bouleversant.

Les Inrocks

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