mercredi 8 avril 2009

ENTRETIEN AVEC VIKRAM SETH, L'AUTEUR DE GOLDEN GATE !



Auteur à succès en Inde et dans le monde, comparé à Salman Rushdie, Vikram Seth était surtout connu en France pour son roman Un garçon convenable. C'est seulement aujourd'hui, plus de vingt après sa sortie, que son premier roman en vers, Golden gate, nous arrive dans une traduction de Claro. L'occasion de rencontrer l'écrivain et de l'interroger sur son récit californien.
Vous avez publié Golden gate en anglais il y a plus de vingt ans. Pouvez-vous nous dire ce qui vous a poussé à écrire une histoire en vers ? Et quel regard portez-vous sur ce premier roman aujourd'hui ?
Je travaillais au Département "Economie" de Stanford, et je venais de passer deux ans en Chine pour une thèse sur la démographie et l'économie prenant pour sujet plusieurs villages voisins de Nanjing. Quand je suis revenu à Stanford, j'ai dû passer des mois à rentrer les données recueillies dans l'ordinateur principal. Je travaillais principalement la nuit, quand la machine était libre. Après quoi je rentrais chez moi à vélo, accompagné par des ratons-laveurs. Un matin, les yeux rougis, seul, épuisé par le travail, je me suis retrouvé je ne sais trop comment dans la libraire du coin. Il doit bien y avoir autre chose dans la vie que le traitement de données, me disais-je. C'est alors que j'ai remarqué, sur une étagère du rayon poésie, deux traductions d'un livre que je n'avais jamais lu : Eugène Onéguine, de Pouchkine. Les deux versions s'en tenaient à la forme stricte de la stance. J'étais intrigué. J'ai commencé à les comparer stance par stance mais au bout d'un moment, l'une a pris le dessus sur l'autre, et m'a tellement captivée que je suis resté des heures à la lire. Parfois, l'histoire était drôle. A d'autres moments, elle était tragique. Je l'ai dévorée.
J'avais déjà écrit un peu de poésie auparavant mais jamais je n'avais pensé à écrire un roman. Après la lecture de Pouchkine, il devint évident que je ne pouvais pas ne pas en écrire un - et si possible un roman se passant dans la ville près de laquelle je vivais. Donc, je me suis mis au travail et je n'ai pas terminé ma thèse.
Pourquoi avoir utilisé spécifiquement des sonnets de Pouchkine ?
Le sonnet de Pouchkine possède quatorze tétramètre iambiques, rythmés avec complexité, et usant avec subtilité des rimes masculines et féminines. C'est une forme merveilleuse, à la fois familière et flexible, capable d'intensifier aussi bien l'humour que la tristesse. Dans la poésie anglaise, le tétramètre n'est pas aussi commun que le pentamètre. Mais il m'a semblé qu'il conférait une certaine vivacité à la narration. De la même façon, l'usage stricte des rimes féminines est rare dans la prosodie britannique. J'ai trouvé, moi, qu'il offrait une certaine légèreté au vers, et permettait d'éviter la monotonie rythmique.
Comment pensez-vous que Golden Gate devrait être lu ? A voix haute ? Comme un texte en prose ? A un rythme spécifique ?
Eh bien, je ne veux rien imposer : je pense qu'il devrait être lu de la façon qui vous est agréable. A voix haute, c'est bien, surtout au lit, si vous et votre moitié lisez une stance chacun votre tour. Pour ma part, quand je donne des lectures publiques, je le lis de façon naturelle, en tenant compte de la versification, mais sans insister sur les rimes (elles n'ont pas besoin de ça).
On a dit que Pouchkine lisait sa poésie de façon déclamatoire, voire incantatoire, mais je ne suis pas sûr que ce genre de chose marcherait aujourd'hui.
Pourquoi avoir choisi San Francisco comme cadre ? Simplement parce que vous y viviez ?
J'ai vécu à Stanford - à une heure de San Francisco. Et j'ai aimé cette ville dès le premier regard. Je m'y rendais aussi souvent que possible. C'est un très bel endroit, avec ses collines aux pentes raides et ses parcs immenses. Il y a de l'eau - océan, baie, détroit - des trois côtés. Sur un plan ethnique, la mixité est importante : Blancs, Noirs, Hispaniques, Chinois, Japonais, etc.
J'adorais l'atmosphère, l'aisance avec laquelle les gays comme les hétéros s'étaient appropriés l'endroit, même dans les années 80. Je n'ai pas choisi de connaître San Francisco. Il se trouve seulement que c'était près de Stanford. Et je n'ai pas choisi non plus d'écrire sur cette ville en particulier : c'est elle qui m'a choisi.

Un certain pessimisme imprègne votre histoire. Correspond-il à votre vision de la vie ?
Pessimisme ? Oui et non. Le thème sous-jacent, je dirais, c'est l'amour de la vie. Peu de personnes ici-bas peuvent tenir indéfiniment la tragédie à distance. Le roman correspond-il à ma vision de l'existence ? Plutôt pas. En tant qu'auteur cependant, je me suis rendu compte que je ne pouvais ni déterminer ni changer les décisions et les destinées de mes personnages, même lorsque j'en ressentais l'envie.
Vous lisez le français. Comment jugez-vous le travail de votre traducteur, Claro ?
Mon français n'est pas très bon ; je ne peux donc émettre de jugement avisé sur le travail de Claro en termes de nuances ou de flair. Mais tous les membres de de mon entourage qui lisent votre langue et à qui j'ai montré ne serait-ce qu'une stance de sa traduction ont déclaré sans exception qu'elle était superbe. Traduire de la poésie requiert de l'inspiration et de l'imagination, pas uniquement des compétences linguistiques ; c'est une forme de recréation. Claro est le co-créateur de la version française de Golden Gate et, s'il y avait une justice, son nom aurait dû apparaître sur la couverture aux côtés du mien.

Propos recueillis par Fabrice Colin

flucuat.net

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