samedi 4 avril 2009

EDIE SEDQWIICK, EGERIE DE LA FACTORY !


Fine comme l’aiguille d’une seringue, excentrique et belle comme ses amis de la Factory, Edie Sedgwick, égérie de Warhol et figure des nuits new-yorkaises, a marqué les sixties de ses débordements. Une vie brûlée par la drogue, le fric, le sexe et les électrochocs. Jusqu’à sa mort, à 28 ans. A découvrir dans une impressionnante biographie.
Femme fatale du Velvet Underground, c’est elle. Just Like a Woman de Bob Dylan, c’est elle encore. Héroïne pop, Edie Sedgwick a traversé les sixties gavée d’amphétamines, inspiré Warhol, marqué la Factory et tout simplement son temps en météorite anorexique, morte d’une surdose de barbituriques à 28 ans, en 1971. Celle qui a rencontré le king albinos de New York en 1965 devient vite sa “superstar”, égérie de ses films (Vinyl, Kitchen, Beauty # 2…) vite initiée aux drogues douces et dures comme tous ceux qui pénètrent à cette époque à la Factory.
Elle se coupe les cheveux, les teint en platine argenté, comme Andy, porte comme lui des brassières de marin sur sa maigreur de fille qui ne veut pas grandir, et se retrouve bien souvent tard dans la nuit en tête à tête avec lui à discuter gentiment autour d’un hamburger pendant qu’autour d’eux les autres partouzent allègrement. Edie et Andy seront inséparables pendant un an, déclenchant des émeutes partout où ils passeront, comme deux frères jumeaux glam. Magiques. Comme en témoigne Truman Capote : “Si Andy avait pu être une femme, il aurait voulu être Edie : voilà pourquoi il s’identifia à elle, tel Pygmalion. (…) En somme, il aurait aimé être n’importe qui, excepté Andy Warhol.”
Entreprise en 1972, un an après la mort d’Edie Sedgwick, l’impressionnante biographie (rééditée ces jours-ci) que lui consacre Jean Stein, rédactrice à The Paris Review, Esquire, Grand Street…, a nécessité dix ans de travail pour rencontrer 250 protagonistes de la vie d’Edie comme de l’époque, puis monter avec l’aide de George Plimpton ces fragments d’interviews à la manière d’un cut up – et on y croise tout le monde, Gerard Malanga, Allen Ginsberg, Paul America, Paul Morrissey, Gore Vidal, Diana Vreeland, Leo Castelli, Jasper Johns, Ondine, Viva, Roy Lichtenstein, Norman Mailer et bien sûr Warhol.
Ce qui est génial, c’est que l’icône pop y est partout et nulle part, absente de sa propre bio et seulement restituée en morceaux par les mots des autres, tel un contenant vide seulement rempli par la projection de tous ceux qui l’auront croisée. Fille-fantôme, fillefantasme. Star pop par excellence, c’est-àdire concept warholien vivant : une artiste sans oeuvre, qui n’était star que de sa propre vie, actrice d’ellemême, rejouant jusqu’à l’écoeurement son propre rôle d’égérie excentrique et glamour.
Car Edie Sedgwick, c’est d’abord un style : elle mise tout sur ses jambes, qu’elle a fait remodeler en institut, et traverse la décennie en collants noirs opaques, qu’elle ne porte qu’avec un mini T-shirt et des talons aiguilles, des capes en zibeline ou en plumes d’autruche, et des capelines géantes. Patti Smith, pas encore musicienne, l’avait aperçue sur une photo dans Vogue, et alors encore au fin fond du New Jersey, elle se souvient de l’impact de cette image : “J’ai été tellement frappée que j’ai vraiment eu le sentiment d’avoir découvert quelque chose, et quelque chose qui pour moi était tout… Parfaitement branchée, Edie irradiait l’intelligence et l’énergie.”
Et plus loin, alors qu’elle la croisera dans une boîte avec Warhol et sa clique : “Ils étaient tous ultra maigres, tout en angles, en coudes, en genoux et en boucles d’oreille. Il n’était alors même pas question pour moi de vouloir être des leurs. J’étais simplement heureuse qu’ils existent, et heureuse de pouvoir les voir.”
Pourtant, le portrait que dessine d’Edie le livre de Jean Stein est moins celui d’une superstar warholienne que celui d’une héroïne fitzgeraldienne, la dernière peutêtre, fonçant comme un bolide dans le mur d’une tragédie américaine. Sa vie commence comme un drame de Douglas Sirk, de Vincente Minnelli ou d’Elia Kazan, dans une grande famille américaine de Santa Barbara, en Californie, richissime grâce au pétrole et qui ne lésine pas sur le bourbon. Le malheur des huit enfants Sedgwick, c’est d’avoir un père sublime et tyrannique, qui embrasse d’autres femmes sous les yeux de la sienne, effacée. Jeune fille, Edie va perdre à cause de ce père deux de ses frères : Minty, qui se pend à 26 ans en HP, après avoir été violemment rejeté par son père parce qu’il est homosexuel ; et Bobby, suicidaire, qui se tue en moto. Edie, ado, est devenue anorexique, se faisant vomir après chaque repas. “Quand elle était soûle, elle commençait à en parler de façon très directe, comme si l’admiration qu’elle lui portait (à son père – ndlr) lui faisait violence, à elle-même, une violence qui tenait un peu du viol qu’elle ressentait peut-être sur le plan psychologique.” Après ces drames, débarquée à New York à 20 ans, elle est prête pour se perdre.
Elle claque des sommes folles, invite ses amis à dîner au Ritz, se paie un manteau en léopard et ne se déplace qu’en limousine avec chauffeur – et toute sa vie, les parasites, de plus en plus nombreux, lui piqueront son fric. Au faîte de sa gloire, quand des producteurs d’Hollywood s’intéressent à elle, elle les envoie au diable parce qu’elle les trouve “trop cons” et préfère traîner avec ses copains à Manhattan. Elle se lève tard, se gave d’amphètes, dépense des milliers de dollars en make-up et passe des heures à se farder les yeux, se rend à la Factory, se fait piquer, sort toute la nuit… Et le livre de Jean Stein prend peu à peu des allures d’enfer selon Jérôme Bosch : des séances de piquouzes chez le très louche Dr Mercer à la baise sauvage pendant des heures sous acide avec n’importe qui, en passant par des orgies qui durent plusieurs jours, c’est toute une époque que saisit et restitue comme en live, et jusqu’à l’effroi, ce livre édifiant.
Deux fois, Edie Sedgwick, trop stone, mettra le feu à son appartement (notamment celui qu’elle occupe au Chelsea Hotel), et les séjours en HP, jusqu’aux dizaines de séances d’électrochocs, vont se multiplier dans un tourbillon de plus en plus frénétique. Elle essaie un temps d’être mannequin pour Vogue, mais l’institution de la mode US ne veut pas s’associer à l’image d’une camée.
Entre-temps, Edie et Andy ont rompu – il ira même, par cruauté, jusqu’à remplacer certaines de ses scènes dans The Chelsea Girls par celles tournées avec Nico. C’est vrai qu’elle l’a plaqué pour s’enfuir avec Bob Dylan, qui promettait de la faire tourner avec lui, jusqu’au moment où Warhol, pure cruauté aussi, lui apprend que Dylan s’est marié avec une autre en secret quelques mois auparavant.
De ce portrait d’Edie Sedgwick, Andy Warhol ne sort pas grandi, et c’est le poète Gregory Corso qui en parle le mieux : “J’ai fini par dire à Warhol ce que je pensais de la façon dont il s’était comporté avec Edie. On était au Max’s Kansas City, lui assis tout seul, et moi avec Allen Ginsberg. Et je lui ai sorti : “Tu pompes les gens, tu comprends. Tu prends ces gamines, tu en fais des superstars, et puis tu passes à autre chose et tu les laisses tomber… littéralement, comme ça.”
A force de tomber, la gamine est retournée en Californie, vivant moitié en clinique, gavée de médicaments et continuant à s’y piquer, moitié avec une communauté de Hells Angels. Elle finit par épouser le seul homme qui lui résiste, un certain Michael Post, de huit ans son cadet, qui a décidé de la sauver. Trop tard : six mois après leur mariage, il la retrouve morte au petit matin dans leur lit. Andy Warhol, apprenant la mort de sa superstar au téléphone, ne sourcillera pas.
Edie de Jean Stein (Christian Bourgois éditeur), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sylvie Durastanti, préface de Norman Mailer, 452 pages, 20 €

les inrocks

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