jeudi 8 janvier 2009

SCOTT HEIM REVIENT !


Treize ans après la sortie de Mysterious Skin, son premier roman encensé par la critique et magistralement adapté au cinéma par Gregg Araki, Scott Heim revient sur le devant de la scène littéraire avec Nous Disparaissons. Un semi-échec avec son second roman (In Awe), des problèmes de drogue et une panne d'écriture n'ont, heureusement, pas eu raison de lui. Rencontre avec un écrivain brillant, angoissé et hypersensible.

Fluctuat : Vous avez connu un succès immédiat en 1995 avec Mysterious Skin puis un relatif échec avec votre second roman, In Awe en 1997. Comment êtes-vous revenu à l'écriture plus de dix ans après avec Nous Disparaissons ?
Scott Heim : J'ai connu une vraie désillusion avec le monde de l'édition après la sortie de In Awe. Le danger quand on a un grand succès tout de suite réside dans les attentes que vous suscitez pour la suite. Quand on a du succès, l'avenir s'annonce radieux et on a tendance à oublier ce que c'est que de ne pas avoir de bonnes critiques et la reconnaissance du public. De plus, l'édition a changé : des amis écrivains n'ont plus de contrat et des éditeurs perdent leur job après avoir publié seulement deux ou trois titres. Et puis, je n'arrivais pas à venir à bout de ce troisième roman. J'avais beaucoup de matière dont je ne savais pas quoi faire tout en me demandant si je voulais vraiment consacrer encore deux, trois ans de ma vie sur un roman dont je ne savais pas comment il serait accueilli, ni s'il serait apprécié. Frustré de ne pas être reconnu, j'ai perdu de vue le véritable but de l'écriture : celui de s'exprimer et de se faire comprendre. J'ai donc abandonné ce premier jet pour le laisser reposer et vivre ma vie personnelle qui était déjà assez compliquée.

On retrouve dans Nous disparaissons des thèmes communs à Mysterious skin comme l'enfance victimisée, la mémoire retrouvée et le Kansas. Pouvez-vous expliquer ces obsessions ?
Quand j'écris, je ne suis pas conscient de ce qu'on lira et je ne fais pas forcément le lien entre mes œuvres de la même manière que le fait le lecteur. Des amis m'ont fait remarquer que Nous disparaissons pourrait presque être la suite de Mysterious skin tant le personnage de la mère ressemble à celle du héros de mon premier roman. Il est vrai que je suis toujours autant fasciné par les souvenirs d'enfance : cette relation entre ce dont on croit se rappeler et ce qui s'est vraiment passé. Et le Kansas, mon lieu de naissance, est presque un personnage à part entière de mes livres. C'est un lieu chargé d'une ambiance, d'une atmosphère intense qui lui est propre.

A l'époque de la sortie de Mysterious skin vous disiez être gêné qu'on vous interroge sur la part autobiographique dans votre roman. Avec ce dernier livre vous livrez votre roman le plus intime. Pourquoi ce changement ?
J'étais naïf à l'époque, je ne m'étais pas préparé à ces questions. Je pensais que les livres parlent d'eux-mêmes et qu'on ne devrait pas devoir les justifier. L'écriture de Nous disparaissons a pris tellement de temps, était si difficile que je n'ai pas tout de suite réalisé qu'il était si personnel. Dans ma première version, les personnages étaient complètement différents. Je les ai remplacé par ma mère et moi pour faciliter l'écriture, qui est devenue plus fluide, naturelle. J'ai fait ensuite le choix conscient de ne pas remplacer les noms et de nous laisser, ma mère et moi, être les héros. A quelques nuances près. J'ai, en effet, usé de distorsions temporelles : j'avais décroché de la drogue quand je me suis occupé de ma mère et j'ai aussi outré des traits de la personnalité du narrateur ou de la mère qui ne nous correspondent pas. Les éléments de ma vie personnelle ont finalement été la clé pour faire fonctionner la trame de fond fictive.

Pouvez-vous nous expliquer le titre, Nous disparaissons ?

J'ai utilisé ma propre addiction à la drogue, pour moi l'effacement de soi, de sa personnalité et j'y ai vu un parallèle avec la maladie et finalement la mort - d'où le titre du roman. La mère du narrateur, comme les enfants disparus qui l'obsèdent, s'efface peu à peu - autant physiquement que psychologiquement - à mesure que la maladie gagne du terrain. On revient également sur la notion de mémoire et des souvenirs refoulés qui refont surface. J'aimais aussi l'idée de faire disparaître le Scott-auteur derrière le Scott-narrateur.


Le livre est dédié à votre mère. Comment êtes-vous parvenu à décrire avec tendresse les détails très crus de sa déchéance pour finalement sublimer le moment douloureux de sa mort ?
Accompagner ma mère jusqu'à la mort a été l'expérience la plus intense de ma vie. Nous étions, comme dans le livre, coupés du monde. J'ai fait des choses dont je ne me serais jamais senti capable et ne me suis jamais senti aussi vivant qu'à ce moment là. Assister à cet instant le plus intime d'une vie ma donné le besoin d'écrire, de transformer en fiction cette expérience. Je ne voulais pas seulement parler d'une expérience somme toute banale tant elle est universelle, mais en faire quelque chose d'autre, de plus intéressant. Je crois que d'une certaine façon ça a été thérapeutique. Mon défi d'écrivain a toujours été de transformer la laideur en me concentrant sur un détail plaisant, rassurant. J'ai procédé de cette manière pour décrire la mort de ma mère. Dans la première version, cette scène durait dix pages. Mon éditeur me l'a heureusement fait réduire. L'ombre de sa mort plane sur tout le livre et il ne fallait pas faire de cette mort inéluctable un moment trop pénible pour le lecteur.

Quand Mysterious skin est sorti, on vous a catalogué comme représentant la littérature dite « gay ». Comment l'avez-vous vécu et que devient la littérature gay aux Etats-Unis ?
J'ai eu de la chance de ne pas être vraiment cantonné aux rayons "gay" des librairies. Mais c'est vrai qu'au début des années 90 est apparue cette littérature dite gay, très engagée, qui devait être le prochain mouvement littéraire comme il y avait eu une littérature afro-américaine. Or avec la crise de l'édition, ces petites niches tendent à disparaître et il suffit qu'un auteur indien aie du succès pour que l'attention se concentre quelque temps sur la littérature indienne. Mysterious skin ne traitait pas directement de l'homosexualité mais est devenu culte dans la communauté. Mais je crois aussi que le sujet de la pédophilie touchait tout le monde et était alors dans l'air du temps. Il y a avait eu à l'époque le scandale des prêtres pédophiles dans l'église catholique et ces affaires de souvenirs d'inceste refoulés qui refont surface. Je suis juste arrivé au bon moment, avec le bon sujet.

Quels sont vos projets ? Nous disparaissons va-t-il être adapté sur grand écran ?
Il y a eu quelques approches qui n'ont pas abouti et avec la crise, je doute qu'un tel projet se monte à Hollywood. Les plus intéressés pour l'instant sont les italiens. Même s'il semble curieux d'adapter en Europe un roman si américain, je me dis qu'il serait intéressant de voire le livre devenir quelque chose de complètement différent à l'écran. J'ai tellement vécu un rêve avec l'adaptation de Mysterious Skin à laquelle j'ai participé à part entière que je ne suis pas contre une expérience totalement différente. En ce qui concerne l'écriture, j'ai une idée que je laisse mûrir avant de la coucher sur le papier. Pour moi, tout le travail de l'écrivain se fait en amont, dans la réflexion de son sujet et je ne commence à écrire que quand je sais où je veux aller. Mais je me demande toujours si j'ai vraiment envie de continuer à écrire. Avec la crise, la situation va s'aggraver dans l'édition et je me demande si je devrais à nouveau m'infliger ce processus long et douloureux pour un résultat, qui plus est, incertain... L'écriture est véritablement un "labor of love" !

Scott Heim, Nous disparaissons, Au Diable Vauvert, janvier 2009.

Propos recueillis par Mélanie Duwat 'fluctuat.com)

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