vendredi 17 juillet 2009

L'ODE DES INROCKS AU FILM DE XAVIER DOLAN, J'AI TUE MA MERE...


L’histoire du cinéma ne manque pas de films à maman qui tentent sous des formes diverses de régler leur Œdipe. Il y a ceux qui fantasment, outre-tombe, sur l’image maternelle manquante (Tout sur ma mère de Pedro Almodóvar), ceux qui chérissent sa présence (Le Souffle au cœur de Louis Malle), jusqu’à l’inceste (Ma mère de Christophe Honoré), et le désir de substitution totale (Psychose d’Alfred Hitchcock). Il fallait sans doute toute la fraîcheur et la provocation d’un cinéaste de 20 ans à peine pour oser désamorcer cette tension immémoriale par un titre conçu comme un effet d’annonce malicieusement prématuré et fallacieux. J’ai tué ma mère raconte la cohabitation difficile entre un adolescent de 17 ans, avide de liberté, de découvertes artistiques et de rencontres amoureuses, et de sa mère, peu à l’aise dans son rôle. Prises de tête bavardes autour du dîner rituel, muette irritation face aux tics du quotidien – rien, confie Xavier Dolan, présent à Cannes pour présenter son premier film sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, qu’il n’ait vécu ou ressenti au même âge : “J’ai écrit le scénario en trois jours, juste après avoir quitté l’école, rempli de griefs contre ma mère, le système éducatif. Ça a été un défouloir, une catharsis. Je l’ai écrit comme une lettre vindicative qu’on écrit à quelqu’un sans jamais lui envoyer.” Remisé dans un tiroir, puis ressorti des mois plus tard “puisqu’il fallait bien combler par l’écriture le néant auquel confronte l’arrêt des études”, le scénario d’origine va subir plusieurs transformations, mais c’est bien un effet de réel saisissant, fruit du premier élan d’écriture, qui caractérise le film.

Fondé sur un dispositif simple, J’ai tué ma mère avance à coups de longues séquences dialoguées (autour d’une table, dans une voiture), collant au plus près à une relation accidentée, tiraillée entre l’amour et la haine : “J’ai misé sur le côté hyperréaliste des détails irritants du quotidien, tout en tentant de démontrer la dichotomie des sentiments.” Le naturalisme au principe du film inclut une forme de répétition, qui se révèle ici être la clé du conflit mère-fils : sans début ni fin, indélimité, conçu comme une maladie du quotidien, un virus contracté au fil des petits déjeuners et des plateaux télé du soir. Xavier Dolan filme la violence de la relation jusqu’à l’épuisement, cherchant à en explorer toutes les formes possibles, les ramifications aussi complexes qu’indéfectibles Pour autant, le jeune Québécois se défend d’avoir voulu faire un documentaire à peine trafiqué sur sa propre vie : “Si j’avais voulu coller à la réalité, j’aurais caché des caméras dans les pots de fleurs et mis des micros dans les soutiens-gorge de ma mère.” Il revendique un profond désir de fiction, qui passe aussi par une cinéphilie “un peu claudicante”, mais dont J’ai tué ma mère se fait à plusieurs reprises le dépositaire. Il en va ainsi des plans ralentis sur la musique de Shigeru Umebayashi, clin d’œil à In the Mood for Love de Wong Kar-wai, comme des références plus inconscientes à la Nouvelle Vague. Telles des incrustations pop dans le manteau naturaliste, de courts plans en rafales d’objets et de peintures (procédé utilisé par Godard ou Resnais) ouvrent des séquences choisies : “C’est quelque chose de ludique, et en même temps ça permet de donner en un seul geste beaucoup d’informations sur un lieu, un personnage.” Ces surgissements très plastiques trouvent leur acmé dans une scène merveilleuse de dripping (art qui consiste à jeter aléatoirement de la peinture sur un mur) mettant en scène le héros et son amant – bientôt moins occupés à peindre qu’à faire l’amour.

Plaider coupable pour un meurtre à jamais différé, c’est la condition requise pour, du statut de fils, passer à celui d’artiste et d’amant. Condition aussi pour avoir été considéré au dernier Festival de Cannes comme un très jeune cinéaste, déjà l’un des plus prometteurs d’une nouvelle génération. Pour cela, Xavier Dolan a le temps. Enfin presque : “On n’a pas la vie devant soi. C’est une phrase pour procrastiner. Il faut faire les choses avec urgence, sans les escamoter. La phrase qui me guide, c’est celle de Valéry : “Le vent se lève, il faut tenter de vivre.”

Emily Barnett

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