mercredi 25 février 2009

NOUS DISPARAISSONS DE SCOTT HEIM



Dix ans après son premier roman Mysterious Skin, superbement adapté au cinéma par Gregg Araki, Scott Heim réapparaît avec Nous Disparaissons, un roman puissant sur la mort, l'oubli et l'autodestruction.
Scott Heim, enfant chéri de la littérature dite "gay" de la fin des années 90, signe son grand retour après dix ans de pénible traversée du désert. Avec Nous Disparaissons, il a vaincu ses démons. Drogue, désillusions vis à vis des paillettes du monde de l'édition et blocage de la feuille blanche n'ont heureusement pas eu raison de ce brillant écrivain à la sensibilité à fleur de peau.
Après Mysterious Skin, ce sont encore les mêmes obsessions que Scott Heim explore. L'enfance martyre des enfants disparus qui peuplent les pages des faits divers, et la mémoire retrouvée, ces souvenirs refoulés qui ressurgissent en véritables sésames de l'inconscient. Mais c'est une bonne dose de lui même et de sa vie que Scott Heim y a ajouté, donnant à Nous disparaissons toute sa justesse émotionnelle.
Le thème de la disparition s'incarne d'abord chez cette mère un peu folle, un peu alcoolo, rongée par un cancer en phase terminale et qui, dans un dernier sursaut de survie, cède à son obsessionnelle passion pour les faits divers d'enfants disparus. Elle convainc alors son fils, écrivain loser et accro au crystal meth de quitter son taudis de New York pour rentrer au Kansas, afin de poursuivre avec elle cette quête désespérée et absurde, dans l'objectif chimérique d'écrire un livre-enquête, de rendre justice à ces disparus oubliés. C'est la maladie, la vieillesse et son lot de délabrement physique et psychique qui font disparaître peu à peu cette mère bien aimée. Le fils, lui, avatar de Scott Heim, écrivain gâché, toxicomane au dernier degré, se sent lui aussi partir, disparaître à cause de cette saloperie dont il se gave, qui l'obsède et dont la quête est devenu son unique raison de vivre. Effaçant le souvenir de ce qu'il est et de ce qu'il aime de la vie.
Encore une fois, Scott Heim attribue à la mémoire un rôle central. Comme un personnage à part entière, elle ressurgit dans des éclairs de lucidité ou de délire chez les deux personnages. La mère est convaincue d'avoir été enlevée dans son enfance. Ce sont ces souvenirs insaisissables qu'elle veut à tout prix reconstituer avant de mourir. Le narrateur se souvient par flashes de son enfance et de son adolescence au bonheur en dents de scie auprès de cette mère pas comme les autres. Mémoire retrouvée ou réécrite, Heim sait jouer avec la crédulité et le doute, et retracer le processus de construction de l'individu entre déni et résilience.
D'un Kansas sinistré au coeur de l'hiver en toile de fond, d'une galerie de personnages perdus et de la mort qui rôde, Heim tire ce qu'il y a de sublime, humanisant ainsi le laid et le glauque. Tout en décrivant de manière très crue les stigmates les plus angoissants de l'agonie de sa mère, l'écrivain porte un regard plein d'amour et de tendresse sur cette scène salvatrice.
"Puis les râles dans sa gorge sont devenus insoutenables et je ne pouvais plus lutter. Je me suis rué sur le lit, passant la jambe au-dessus des lattes branlantes, glissant mon corps près du sien. j'ai posé ma tête sur son épaule. j'ai enroulé un bras autour d'elle, comme un bouclier. Je sentais son ventre et le bord strié de la chambre implantale dans sa poitrine. Ses jambes et ses bras étaient si froids, mais je sentais encore une chaleur, une ultimes tiédeur à l'intérieur d'elle. Sous mon oreille, où son coeur émettait son battement las. Je l'entendais toujours, le coeur de ma mère. j'ai essayé de la prendre dans mes bras. Je me suis demandé de quoi nous devions avoir l'air, toutes ces années auparavant, nos positions inversée, ma mère tenant Scott, nourrisson."
La mort, ici, soulage la mère, enfin en paix avec ses souvenirs, de son agonie mais aussi le narrateur, double de l'auteur qui ressort "sauvé" de cette intense épreuve. Ni réel happy end, ni émotion artificielle superflue, on referme Nous disparaissons, profondément touché par ce partage d'intimité direct, digne d'un Scott Heim revenu de l'enfer.

Nous disparaissons de Scott Heim, janvier 2009, Au Diable Vauvert

Critique parue sur fluctat.net, l'un des meilleurs sites culturels, à mes yeux...

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