mercredi 5 novembre 2008

MON VOYAGE EN HIVER, DE VINCENT DIEUTRE A 16H AU LATINA !



Une buée légère qui monte de la neige tassée en bordure des routes voile d’une mélancolie très douce les paysages du film de Vincent Dieutre Mon voyage en hiver. C’est à retrouver, dans ce brouillard des souvenirs, celui qu’il fut que s’attache le cinéaste dans ce film à la première personne, journal d’un voyage mais aussi roman d’éducation puisque le narrateur (et " filmeur ") quadragénaire est accompagné de son filleul, adolescent à qui il voudrait apprendre le monde. Ainsi se croisent, sur les mêmes routes, deux regards : l’homme cherche l’Allemagne qui enchanta sa jeunesse, musique, littérature, forêts et intérieurs chauds, et les Allemands qu’il y aima, le garçon apprend à mieux connaître celui qu’il accompagne.

Les amants que Vincent Dieutre retrouve ont vieilli, leurs corps sont marqués, le désir éteint, mais ils se retrouvent dans ce qu’ils avaient autrefois partagé, l’amour, la musique, la poésie, la conversation ou un repas préparé pour celui qu’on attend. Toute la beauté du film est là, dans la pudeur avec laquelle celui qui a entrepris cette remontée dans le temps de sa jeunesse se met à nu, lui pour qui, aussi, la jeunesse est passée. Pudeur jusque dans la rencontre avec un prostitué dans une chambre minable : après l’étreinte des corps que la caméra n’a pas montrée mais dont on aura eu l’écho sonore, le narrateur demande à son compagnon d’un moment de lire une page qu’il lui tend, d’un poème. Refus : pour le prix, pour l’argent, on peut avoir, bien sûr, les gestes de l’amour, mais quant au partage d’un poème, d’une émotion autre que mécanique, il n’en est pas question.

De ces rencontres, l’adolescent est bien sûr absent. Tout dans le film dit que l’homme manifestement l’aime trop, d’un amour de père, pour qu’on puisse un instant croire que ce voyage puisse avoir pour but son initiation sexuelle. Simplement il voudrait que le garçon le voie comme il est : homosexuel et respectueux des autres, et aimant la musique, la vie. La musique et la poésie en effet portent le film, d’étape en étape, de rencontre en rencontre, lieder de Schubert essentiellement, du Roi de Thulé, sur un poème de Goethe, aux Voyages d’hiver, et cela se termine pour les deux grands enfants, le quadragénaire et l’adolescent, à Euskirchen, avec les musiciens qui ont, de leurs interventions, ponctué, structuré le film. Ils jouent Gute Nacht (bonne nuit), de Schubert, et le narrateur peut s’endormir, Itvan, son filleul, écoute la musique.

On peut trouver plus " forts " d’autres films de Vincent Dieutre, plus à l’écoute directe des bruits du monde, comme Bonne Nouvelle, moment de la vie d’un quartier qui s’éveille autour de la station de métro qui donna son titre au film, fragiles romans s’esquissant en trois rencontres, ou Bologna Centrale où, autour de la gare de la métropole italienne, se tissent les souvenirs amoureux de l’auteur et tout un pan de l’histoire italienne de ces dernières années. Il reste que Mon voyage en hiver est un peu un film limite pour ce cinéaste de l’intime, chroniqueur attentif de sa vie, une tentative risquée, cette histoire de passage de relais d’un quadragénaire homosexuel à un adolescent pouvant facilement tomber dans le scabreux. Il n’en est rien, pour cette pudeur dans le dévoilement qu’on a dite, mais aussi, sans doute, parce que le cinéaste est d’abord un " gourmand de vie " et qu’il sait superbement le dire.

Après Bologna Centrale, il avait noté : " On écrit, on filme en vidéo, on va voir de la danse, du théâtre, on écoute de la musique. Il est devenu impossible, je pense, de parler exclusivement ’’depuis le cinéma’’, ’’depuis la littérature’’, etc. Notre époque a ceci de passionnant qu’elle est faite de citations, de recyclages, d’allers-retours ou d’interpénétrations des disciplines. " Il n’aurait su mieux le dire que par la musique grave de ce film confidence.

Mon voyage d’hiver, de Vincent Dieutre, France, 1 h 43.

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