dimanche 21 février 2010

A single man, by Tom Ford !


Son premier film, A Single Man, est à la fois une surprise et un indéniable succès. Il a su adapter avec sensibilité et élégance l'œuvre méconnue de Christopher Isherwood (l'auteur de Goodbye To Berlin, qui a donné la comédie musicale et le film culte Cabaret). A l'écran, Colin Firth incarne George, un prof de littérature désespéré par la mort de son compagnon. Un rôle superbe qui lui vaut aujourd'hui une nomination aux Oscars. Rencontre avec ce cinéaste très singulier avant la sortie de A Single Man, le 24 février.
Pourquoi avoir choisi de faire vos débuts au cinéma avec l'adaptation de A Single Man, qui n'est pas la plus connue des œuvres de Christopher Isherwood?
Tom Ford: Cette histoire me parlait depuis longtemps. J’ai découvert A Single Man quand j'avais 20 ans. Plus tard, j'ai rencontré Christopher Isherwood et j'ai dévoré tous ses livres. Il y a quatre ans quand j'ai commencé à monter ma société de production, j'ai mis une option sur un ou deux livres, mais rien ne m'emballait vraiment. Et j'ai réalisé que c'étaient le livre A Single Man et le personnage de George qui me hantaient depuis toujours. C'est un ouvrage très spirituel, chose que je n'avais pas réalisée plus jeune…
Et une histoire gay…
A Single Man raconte l'histoire de quelqu'un qui ne se voit plus de futur car il a perdu l'homme qu'il aimait. Quand j'ai quitté Gucci, le vide immense qui s'est alors installé en moi m'a fait ressentir des sentiments semblables. Le message de ce livre, et du film, tourne autour des questions: qui sommes-nous? Où nous trouvons-nous? C'est à la fois personnel et c'est universel.
En 2004, vous avez quitté Gucci et presque abandonné le stylisme. Comment vous sentiez-vous?
Cela a été terrible. Comme un divorce. J'ai eu l'impression que je rentrais chez moi et que quelqu'un avait changé les serrures. Je me suis dit que je n'avais plus de voix dans la culture contemporaine. C'était dur de ne plus pouvoir m'exprimer. Ce film, c'est comme une crise de la cinquantaine...
Vous n'êtes pas un peu jeune pour vivre déjà ce type de crise?
A 33 ans, déjà, j'ai eu tout ce que quelqu'un pouvait désirer au monde: l'amour, la gloire, la fortune, cinq maisons, un compagnon adorable, deux chiens. J'avais tout ce succès matériel. Et pourtant quelque chose me manquait… le cinéma.
Vous avez toujours dit que le cinéma était votre passion. Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de passer derrière la caméra?
A côté de mon travail de styliste chez Saint Laurent et Gucci, je supervisais des créateurs comme Stella McCartney ou Alexander McQueen. Je passais ma vie entre Londres, Milan, Paris et New York, je manquais de temps...
D'où vient votre fascination pour le cinéma?
C'est un monde parallèle dans lequel n'importe qui peut s'évader. J'en avais besoin enfant et j'en ai toujours besoin.
Quels cinéastes vous ont inspirés?
Antonioni, De Sica, Wong Kar Waï, Gus Van Sant et surtout Hitchcock qui est au sommet de ma liste. Si je déprime, je regarde un film de George Cukor (Le Milliardaire, My Fair Lady). Ça va beaucoup mieux après... Cette année, A Serious Man des frères Cohen et Precious de Lee Daniels m'ont vraiment emballé.
Ce sont des cinéastes très soucieux de la forme, du visuel…
On a assez de télé-réalité comme ça ! Je veux voir de la réalité fantasmée…
A Single Man se passe dans les sixties alors que vous adorez les seventies?C’est vrai, la décennie qui m'a toujours inspiré, c'est celle des seventies, celle dans laquelle j'ai grandi. Tout le monde suppose que si j'ai attaché tant d'importance au style dans ce film, c'est parce que je suis créateur. Honnêtement, je m'en fiche. Le look du film est juste un écrin pour les personnages. Rien d'autre. George veut en finir avec la vie et regarde son univers d'une façon presque idéalisée. Mais je n'ai jamais voulu faire un film sur les années 60.
Peu de gens le savent mais vous avez été acteur dans les années 70…
C'est vrai, ça marchait plutôt bien d'ailleurs. J'avais une belle gueule et je pouvais tourner des pubs. Car j'avais des tonnes de cheveux, comme Farah Fawcett (il bouge sa tête comme dans une pub de shampooing). Mais ce n'était pas un but en soi...
Pourquoi avoir choisi Colin Firth pour le rôle principal?
Dans tous ses films, Colin Firth (Bridget Jones, La Jeune fille à la perle) est très réservé à l'extérieur, mais on remarque une fêlure, une flamme dans ses yeux. C'est cela que je voulais explorer. Et cela collait parfaitement au personnage de George. Beaucoup d'acteurs ont des yeux vides. Je ne dirai pas qui… Même s'ils sont beaux et forts. Colin, lui, a une subtilité unique. J'avais quelqu'un pour le rôle, mais six semaines avant le début du tournage, l’acteur m'a fait faux bond pour tourner quelque chose qui allait lui rapporter plus. J'ai redemandé à Colin qui se trouvait être libre. Et le miracle s'est produit...
Votre nom dans la mode a souvent rimé avec «provocation». Vous ne trouvez pas que votre film est très chaste?
Je sais, il n'y a pas de sexe (rires). La mode et le cinéma sont pour moi deux moyens d'expression totalement différents. Et puis, cette image de provocateur, c'était au début des années 90, j'avais 30 ans, c'était une période différente.
Depuis que vous avez réalisé A Single Man, la presse américaine vous présente souvent comme «le plus trendy» des réalisateurs gays. Cela vous plait?
Je n'aime déjà pas être réduit au fait que je suis gay. J'apprécie peu ce type d'étiquette. Je suis un homme, qui se trouve être gay, et metteur en scène. Et alors? Je déteste définir mon travail par ma sexualité. Pourquoi ne pas dire que je suis «un réalisateur qui aime tailler des pipes!» Mon héros est gay, c'était important pour moi de le montrer le plus naturellement possible. Le meilleur moyen de lutter contre les préjugés, c'est de montrer la vérité d'une vie.
Aujourd'hui, beaucoup de metteurs en scène passent du cinéma à la télé. Cela vous tente-t-il?
Un jour peut être. Sur HBO par exemple, vous avez une liberté que vous n'avez pas au cinéma. Par exemple, vous pouvez montrez des pénis...
Vous avez d'autres projets en tête?
J'ai fini A Single Man en août. Et depuis, je suis quasiment en promotion permanente. Après tout ça, j'aurai sûrement besoin de souffler un peu, même si je caresse une ou deux idées... Je ne me vois pas livrer un film tous les deux ans, si je n'ai jamais vraiment quelque chose à dire derrière...
Vous devez être très sollicité par les acteurs aujourd'hui?
Avant je les habillais. Maintenant, je peux les habiller et peut-être leur apporter une nomination aux Oscars. Alors c'est vrai que le regard de certains acteurs sur moi a changé. Surtout celui des actrices !

Propos recueillis par Louis Maury pour tetu.com

Aucun commentaire: