mercredi 10 février 2010
Alain Chanfort : Une vie Saint-Laurent !
Alain Chamfort, la cinquantaine classique et chic en chemise blanche et ras le cou anthracite, reçoit dans une résidence du quartier des Abbesses, qui, d’anciennes fresques explicites en témoignent, fut un bordel. Entre thé vert et madeleine au chocolat, quoi de plus propitiatoire qu’une maison de rendez-vous pour écouter le récit de sa rencontre en musique avec le grand monde d’Yves Saint Laurent.
Comment ce disque est-il né ?
D’une proposition du parolier Pierre-Dominique Burgaud, à un moment où j’étais dans l’inertie la plus totale. Mais ce projet n’a pas éveillé immédiatement mon intérêt. Je connaissais la vie d’Yves Saint Laurent comme tout le monde, c’est-à-dire très peu et mal. J’avais des images, des silhouettes associées entre autres à Catherine Deneuve. Donc, je ne trouvais pas que chanter la vie de Saint Laurent était une idée très populaire. Or la chanson, à mes yeux, doit avoir au départ cette vertu-là. Ensuite, je me suis plongé dans une biographie et là, ce fut un puits sans fond : un destin incroyable, une influence inouïe, un patrimoine.
Votre plus grande surprise ?
Ce qui m’a le plus étonné, c’est l’âge où tout lui est arrivé. J’ai toujours vu Saint Laurent comme un aîné et quand il a débuté chez Dior, en 1955, j’étais un enfant. Sur les photos de l’époque, je le vois comme un vieux jeune homme ; si sérieux, presque sévère. Sauf que non : quand après la mort brutale de Dior, dont il était l’assistant, il présente sa première collection en 1958, il a 22 ans. Et lorsqu’il écrit«YSL» sur la porte de sa première maison de couture, rue Spontini, il a à peine 25 ans - c’est quand même dingue. La force de son âge.
Et vous, idéalement, vous vous aimez à quel âge ?
La période minet en brushing des années 70, ma proximité avec Claude François, qui a inventé mon nom et fut mon mentor. C’était une période d’apprentissage qui, à ce titre, m’a le plus marqué mais qui, dans le fond, me ressemble le moins.
Comment qualifiez-vous cet album ? Opérette ? Opéra pop ? «Emilie Jolie» raconte YSL ?
Emilie Jolie, ce serait la preuve que c’est très réussi. Je pense que la suite logique de cet album serait un spectacle sur scène. Quelque chose comme une revue, d’autant que Saint Laurent avait travaillé pour Zizi Jeanmaire et son Truc en plumes. Je vois des tableaux avec des girls et des boys, une évocation avec ce que cela comporte de décalages et d’interprétations. Mais un type maquillé et perruqué qui incarnerait Saint Laurent, ça par contre, je ne le vois pas du tout.
Dans On dit, vous chantez : «On dit que le bonheur ne tiendrait qu’à un fil, ce fil est l’un des seuls que je n’aie su tisser.» Vous vous sentez proche de cette maxime ?
Ce n’est pas de moi, mais cette phrase me convient, tellement élégante, si juste. Je sais que Saint Laurent, lors de la cérémonie de ses adieux, en 2002, a cité «la race des nerveux» telle que décrite par Proust dans la Recherche. Nerveux, cela veut dire mélancolique. C’est chez moi un sentiment permanent, une compagnie de tous les jours qui n’a rien à voir avec la tristesse mais qui relativise et modère toute expression exaltée du bonheur. On me dit souvent : «Tu ne t’exprimes pas, tu ne dis rien. Ça ne va pas ?» Je crois au contraire que dans ces instants de réserve, je vais bien. C’est lorsqu’on me somme de donner mon avis que je me sens mal.
La mode est un souci ?
Une préoccupation qui remonte à l’enfance. J’ai eu une jolie maman qui, quoique modeste, était inquiète du regard des autres. La présentation était une valeur et sa fierté. Le Petit Nicolas, c’était moi. Bien coiffé, bien joli, bien élevé. J’ai perpétué ce goût de l’apparaître. Vers 1964, j’étais capable de prendre la Flèche d’argent, le train pour Londres, uniquement pour acheter une certaine paire de boots.
Et aujourd’hui : Brummel ? Dandy ? Vieux garçon ?
Pas du tout. Mais j’aime les artistes qui projetaient une image d’élégance glamour. Astaire, Kelly, les danseurs des années 50, les bien-habillés.
Chantre des amours princières homosexuelles Bergé/Saint Laurent ?
J’ai vécu des grandes amitiés homosexuelles - je fus même courtisé -, mais pas des amours. Cela dit, je ne vois pas pourquoi je ne chanterais pas cet amour-là.
Pierre Bergé (1), un ami ?
Un soutien. Il a donné son accord dès le début du projet, quelques mois avant la mort de Saint Laurent. Il a corrigé des erreurs de chronologie. C’est lui qui nous a suggéré le titre sur le Jardin Majorelle, à Marrakech, parce que c’est un endroit où, je crois, ils ont été heureux tous les deux. Quand l’album a été terminé et qu’il l’a écouté, Pierre Bergé m’a fait un cadeau : le piano d’Yves Saint Laurent
(1) Actionnaire de Libération.
Photo Patrick Swirc
libé.com
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