jeudi 15 octobre 2009

Querelle, le dernier film de Fassbinder !


Dernier film (1982) de Rainer Werner Fassbinder, Querelle est un legs curieux. L’ogre du cinéma allemand d’après-guerre s’était, après 1978, attaqué à l’histoire de son pays, de front – les Années de Plomb avec La Troisième Génération (1979) – et plus spécifiquement via sa généalogie, des années 20 aux années 50 – Le Mariage de Maria Braun (1978), Lili Marleen (1981), Lola (1981), Le Secret de Veronika Voss (1982) et sa série TV monstre Berlin Alexanderplatz (1979-1980). Fassbinder voulait creuser les racines du mal d’une RFA qu’il jugeait d’avoir raté sa chance de consolider sa démocratie après 1945.
Adapté du roman de Jean Genet (1947), Querelle n’aurait pu être qu’une pause dans le travail balzacien de RWF. On peut difficilement imaginer œuvre plus irréaliste. Le premier cinéaste pressenti pour le film et pourtant peu réputé pour sa sobriété, Werner Schroeter, envisageait une approche plus terre-à-terre. Comme écrin pour les crimes du marin Querelle (Brad Davis), RWF dresse un Brest de bars et bordels halluciné, anachronique, suintant et écrasé sous une lumière de tapin atomique. Où des piliers phalliques encadrent des GI affublés d’impers Gestapo, sous le haut patronage de Tom of Finland et Dali.
Fassbinder créé selon ses propres termes, « un paysage composé des éléments et des signaux spécifiques de tous les thèmes abordés ». Soit des phallus partout. Une recréation qui ne peut se concevoir qu’en studio, tout comme d’autres univers mentaux faits films la même année dans des registres différents : Blade Runner de Ridley Scott, Coup de cœur de Francis Ford Coppola, Et vogue le navire de Federico Fellini ou même le porno ultime Café Flesh de Rinse Dream.
Si Blade Runner est un film néo-noir, Querelle serait plutôt… orange. Sur fond de coucher de soleil perpétuel (en fait une toile peinte), Querelle aime, joue, manipule et souffre, pris entre son frère, madame Lysiane la tenancière (Jeanne Moreau), le mari de cette dernière et son propre supérieur, le lieutenant Seblon (Franco Néro). Le caractère artificiel du film renvoie aux premiers essais bricolés de RWF (L’Amour est plus froid que la mort, Whity). L’échelle est certes autre par rapport à ses polars en chambre mais Querelle est indéniablement personnel. RWF aimait dire que « pas d’utopie est une utopie » et multiplie figures contradictoires, oxymoriques, aux humeurs masos et exaltées, saintes et pêcheresses. Les corps s’y étreignent, se violentent comme pour mieux glisser, s’évanouir la seconde d’après. Et Jeanne Moreau chante que « chaque homme tue ce qu’il aime ».
Fassbinder écrivait dans son style délicieusement circonvolu : « [Querelle] nous contraint à des constatations et à des décisions qui, et je suis tout à fait conscient du pathos, aussi douloureuses que ces constatations puissent par ailleurs nous paraître dans le détail, nous rendent notre vie plus proche. Cela veut dire également : nous nous rapprochons de notre identité ! Et seul celui qui est vraiment identique à lui-même n’a plus besoin d’avoir peur de la peur. Et seul celui qui n’a pas peur peut aimer sans juger ; le but suprême de tout effort humain : vivre sa vie ! » (Remarques Préliminaires à propos de Querelle)
Lors de la dernière édition de l’Etrange Festival à Paris, Franco Nero racontait que Fassbinder, pendant le tournage de Querelle, lui avait fait signer sur une nappe un « contrat » où l’acteur italien s’engageait à tourner deux autres films avec lui. Deux adaptations littéraires : Bleu du Ciel de George Bataille et Cocaïne de Pitigrilli qui, pour un RWF toxicomane, « ne devait pas être un film contre ou pour la drogue, mais un film sur la nature spécificité des expériences de quelqu’un qui vit continuellement sous l’influence de la cocaïne ». Dans la lignée du Genet, deux œuvres sulfureuses qui devaient dessiner un chemin de traverse sensoriel hors du sillon alors historique de Fassbinder. Il meurt le 10 juin 1982, avant d’avoir achevé le montage de Querelle. La veille, il griffonnait des notes sur un projet de film sur la révolutionnaire Rosa Luxembourg.
Les Inrocks

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