dimanche 31 janvier 2010

Entretien avec Louis Ronan Choisy


Comment s’est passée la rencontre avec François Ozon ?
Je l’ai invité à un concert pour la sortie de mon troisième album. Je savais qu’il m’avait déjà vu en première partie d’un concert de Dani. Je me suis dit qu’a priori, il devait bien aimer ce que je faisais. Il est venu, on a un peu parlé, sympathisé et quelque temps plus tard, il m’a dit qu’il avait un film en tête et qu’il avait envie que je fasse des essais pour lui. J’étais curieux de voir comment il travaillait et j’ai accepté.
Quelques semaines plus tard, il m’a dit que les essais étaient pas mal et il me proposait qu’on se revoie, avec cette fois Isabelle Carré. Il voulait voir si quelque chose allait passer entre elle et moi.

Quels ont été ses conseils à l’acteur néophyte que vous étiez ?
Pour les essais, j’avais appris les textes dans une intention plutôt grave et François m’a demandé de les jouer d’une manière beaucoup plus légère. Il m’a conseillé pour la suite d’apprendre mon texte en évitant une intention de jeu et de m’y figer. Il voulait préserver ma fraîcheur, que je reste ouvert à ce qui se passe.
Je pense qu’il a écrit le personnage de Paul par rapport à ce qu’il sentait naturellement en moi. Vu que je ne suis pas comédien, François ne pouvait pas me faire jouer un rôle de composition, contraire à ma nature. Il est assez clairvoyant, analytique. Il observe beaucoup les gens, leur caractère, leurs capacités. Il m’a choisi comme une matière brute à façonner.
Il ne voulait pas que je pense trop à l’avance aux scènes, il voulait que je sois dans l’instant du jeu. Avant chaque scène, il me disait juste dans quel état, sentiment, ou émotion était Paul. Et après, il me laissait faire avec ma spontanéité. Si vraiment je me trompais de direction, il me donnait des indications... Mais toujours avec humour. Il n’y avait pas de non-dit, de malaise.
Par ailleurs, le co-scénariste, Mathieu Hippeau, m’avait donné le livre d’une femme, née sous X. Elle parlait d’un grand voile noir, un trou au fond d’elle- même, comme si elle se sentait sans racines...
J’ai essayé de me nourrir de cette sensation. Pendant tout le tournage, j’avais souvent l’impression de marcher sur des œufs, de ne jamais être à ma place. Mais c’est peut-être aussi parce que je ne suis pas comédien à la base !

Et le fait de jouer le rôle d’un personnage homosexuel ?
Ma peur aurait été que François me demande de caricaturer l’homosexualité de Paul, mais ce n’est pas le cas. De plus, ce que je trouve intéressant, c’est que Paul est un personnage en quête d’identité, que la frontière entre son homosexualité et son hétérosexualité n’est pas clairement définie...

D’où vient l’idée de composer une chanson pour le film ?
Au début, François voulait réécouter les chansons de mes précédents albums pour voir si l’une d’elles pouvait coller avec le film et puis, je ne sais plus qui de nous deux a eu l’idée de composer une chanson sur le tournage, en s’empreignant de l’ambiance. L’idée me plaisait, je trouvais ça amusant mais ça s’est avéré assez difficile. J’étais tellement crevé ! Rien que pour jouer au piano, j’avais perdu mes automatismes. François m’a beaucoup accompagné, il me disait si la direction que je prenais lui plaisait ou non.
Il voulait une chanson tendre et mélancolique, comme une berceuse. Je me suis basé sur «Mon ami Pierrot», l’ambiance nocturne, une chambre, des bougies qui vacillent... Pour les paroles, je voulais préserver un certain flou, comme dans un rêve, qui pourrait aussi bien correspondre à l’histoire d’amour de Mousse et Louis, qui trouvent leur bien-être dans la drogue, qu’à Mousse et Paul qui comblent l’absence de Louis par leur relation. Je ne voulais pas entrer dans des détails mais jouer sur quelque chose d’atmosphérique.
François m’a encouragé à aller à l’essentiel, à faire tourner cette mélodie comme une ritournelle. Il m’a aussi aidé sur les paroles à un moment. On travaillait le soir, après la journée de tournage. C’était notre récréation ! Quand nous composions, Isabelle venait parfois avec nous et je lui faisais écouter où on en était. Elle avait déjà une complicité avec la chanson. C’était important qu’elle y participe plus concrètement en l’interprétant pour le générique de fin.
François a voulu aussi m’enregistrer au piano, pendant le tournage, jouant des arpèges et des improvisations sur les harmonies du thème. Il les a ensuite utilisés au montage, ce qui m’a servi de trame pour enregistrer les parties instrumentales de la musique. L’important était de préserver la manière naturelle et spontanée dont je les avais jouées pour la première fois dans l’ambiance du tournage.

À votre avis, qu’est-ce que Paul va chercher chez Mousse ?
Il va chercher son histoire. Et chercher à la rejouer, inconsciemment. Je pense que le déclic se fait quand sa mère demande à Mousse d’avorter. Paul est ramené à un moment lointain de son histoire, il est en train de comprendre ce qui lui est arrivé. C’est à ce moment-là que le lien avec Mousse se dessine, que l’envie d’aller vers elle s’éveille en lui.
Il se sent aussi coupable de la proposition de sa mère, car il est présent mais n’intervient pas. Il est complice, mine de rien. Quand la mère propose l’aide du médecin de famille à Mousse, il ne peut s’empêcher de détourner la tête...

Paul peut-il être un bon père ?
Le connaissant un peu, je pense que oui ! Il va donner à Louise ce que lui-même n’a pas reçu... Ce don et cette présence vont sans doute combler une part meurtrie de son histoire. Je comprends que Mousse lui confie sa fille. Paul est la seule personne qui essaye de faire un chemin avec elle, de l’accompagner dans son désir de garder l’enfant, de donner la vie.

La manière dont LE REFUGE bouscule la représentation de la famille, de la maternité et du couple vous semble-t-elle très actuelle ?
Je ne suis pas sûr que ce soit propre à notre époque. Je crois que cette histoire pourrait avoir lieu à n’importe quelle période, qu’elle est universelle. Mais qu’elle puisse être racontée avec autant de légèreté et de simplicité, ça peut-être, c’est notre époque... Mais c’est surtout parce que c’est un film de François ! Je crois qu’il aime profondément l’être humain dans toute sa complexité, dans ce qu’il a de lumineux et de plus sombre. Il raconte très bien les relations conflictuelles. Il montre les choses telles qu’elles sont, avec naturel, sans jugement moral.

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