mercredi 3 mars 2010

Interview des réalisateurs Ducastel et Martineau !


L’Arbre et la forêt est avant tout un film sur un secret de famille qui nous ramène aux heures sombres de la déportation des homosexuels. Pourquoi ce thème?
Jacques Martineau: C’est parti, et depuis très longtemps de la lecture du livre de Pierre Seel [Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel, Éditions Calmann-Lévy, 1994, ndlr], évidemment, puisque c’est le seul témoignage! C’est surtout la question du silence qui nous intéressait et qui se convertit dans le film en secret de famille. Il s’agit de rappeler que c’est un non-dit depuis plus de 60 ans et pas du tout un fantasme: la déportation des homosexuels français a bien existé.
Pourquoi le choix de Guy Marchand dont l’image est un peu aux antipodes du rôle?
Olivier Ducastel: Oui, d’autant qu’il a toujours joué des personnages virils, voire macho, dans les films…
JM: Comme si la virilité était opposée à l’homosexualité!
OD: Oui, c’est idiot! En fait, ce qui amusait beaucoup Guy dans cette proposition, ce n’était pas tant de jouer avec son image de séducteur, mais un petit peu, je crois, régler ses comptes avec ceux qui le croient homophobe à cause de son rôle de Nestor Burma et ses quelques répliques un peu primaires. Il nous fallait un acteur avec un côté terrien, crédible en sylviculteur, au milieu de la nature. Et puis je ne peux pas m’empêcher d’imaginer que des mecs aient pu le trouver craquant à 30 ans, 40 ans, 50 ans…
JM: Et même à 70 ans!
Justement, comment réagit un acteur quand on lui propose d’incarner un homosexuel?
JM: On a eu quelques refus, c’est sûr, mais jamais de réels problèmes. On voit quand même le travail que font les comédiens, les films dans lesquels ils jouent, on n’y va pas à l’aveugle. Pour Drôle de Félix (2000), quand on a envoyé le scénario à Sami Bouajila, je ne m’attendais pas à une réaction homophobe mais je pensais qu’il n’accepterait pas. Et puis, ça s’est super bien passé, et heureusement, parce que je n’avais pas d’autre idée!
OD: Je pense qu’il n’y a aucun risque pour un acteur hétéro à jouer un rôle d’homosexuel. Mais il peut arriver que certains acteurs qui sont des homos planqués mettent des années avant d’accepter l’idée de jouer un gay. Ce que je trouve très violent, c’est que, parce qu’un acteur a joué une ou deux fois un rôle de gay, son agent ou des personnes “bien intentionnées” lui disent: “Méfie-toi, c’est mauvais pour ta carrière!”. Sur le casting de Nés en 68 (2008), nous avions plus des refus politiques de la part d’acteurs qui ne voulaient pas tourner dans un film de gauche, trop “anti-sarkozyste” pour eux.
JM: Mais il faut souvent de nombreuses heures de discussion avant d’aborder vraiment le sujet: “Au fait, te retrouver nu et embrasser un garçon, ça ne te pose pas de problème?”.
Considérez-vous qu’il y a un cinéma gay et vous définissez-vous comme des cinéastes gays?
JM: Le cinéma gay existe de facto à partir du moment où il y a un réseau de festivals, des distributeurs, un public. Et économiquement, ça existe! On le sait d’autant mieux que c’est ce qui nous a permis de sortir nos films sur le marché américain. Les festivals de cinéma gay aux États-Unis ou même à Londres sont des événements culturels majeurs! Après, est-ce qu’il existe une façon gay de faire des films? Pas toujours pour le meilleur: il y a une espèce de reproduction en série avec un imaginaire qui se répète de films en films qu’ils soient “underground”, “trash” ou même beaucoup plus commerciaux. Il y a des trucs vraiment atroces! De tous les cinéastes gays français, nous sommes les seuls à accepter cette étiquette, sans aucune angoisse et même en la revendiquant politiquement. Nous sommes des cinéastes gays et on l’assume complètement. On est très fiers d’être présents ou primés dans des festivals gays!
Les sélectionneurs nous trouvent toujours un peu en marge du cinéma gay: on nous dit souvent “not gay enough” (pas assez gay), mais on a quand même fait l’ouverture à Los Angeles et San Francisco avec Crustacés et coquillages (2005). J’avais adoré l’article d’un journaliste new-yorkais qui écrivait que l’on faisait un cinéma gay typique tout en en prenant complètement le contre-pied.
Il fallait oser débuter, il y a 12 ans, en réalisant une comédie musicale avec comme héros un garçon séropositif!
OD: Avec le recul, on se dit que ça relève vraiment du miracle! Quand on a commencé à chercher le financement, Jacques Demy était mort depuis 10 ans et il n’y avait pas eu de tentatives de comédie musicale dans cet esprit. Et j’ai remplacé le titre de Jacques en trouvant Jeanne et le garçon formidable.
Quel était le titre de travail?
JM: Olivier a le sida, c’était vachement bien, j’adorais ce titre.
Et un film sans homos, c’est envisageable?
JM: On l’a déjà envisagé deux ou trois fois. Notamment en travaillant sur un projet de films pour enfants…
OD: Il y était quand même question de travestissement, mais sur le mode du déguisement qui appartient à l’univers des enfants.
JM: Il est difficile de faire comprendre à un décideur qu’on peut parler des questionnements de genre aux enfants alors que les poissons homosexuels sont devenus un sujet très dangereux! Mais ce qui est très bizarre, c’est que d’un côté les financiers se disent “Ils nous font chier avec leurs films de tapioles!” et, en même temps, si on leur apporte un sujet où il n’y a pas d’homos, ils hésitent parce qu’on n’aura pas le même marché à l’international derrière!
OD: Lors de trois récentes avant-premières de L’Arbre et la forêt, on m’a demandé une fois si, en fait, dans le film, le fils aîné n’était pas homo, ou encore, le fils cadet, et dernièrement le boyfriend de la plus jeune fille! Alors que hormis celui de Guy Marchand, tous les personnages sont clairement hétéros! Ça m’a “dévissé”!

yagg.com

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