mercredi 6 octobre 2010

Kaboom, chronique de la vie sexuelle au campus




Crédits photo: "Kaboom", de Gregg Araki.Voir les 1 photos
.Kaboom de Gregg Araki - 2010
avec Thomas Dekker, Haley Bennett, Chris Zylka

Kaboom reprend les choses exactement là où Nowhere les avaient laissées treize ans plus tôt.

Comme le dernier volet de la “Teenage Apocalypse Trilogy” (à la suite de Totally F***ed up et The Doom Generation), dont il constitue une sorte de codicille, le nouveau film de Gregg Araki s’ouvre sur le rêve prémonitoire de Smith, un jeune homme candide, aux orientations sexuelles incertaines mais à la libido déjà prononcée.

Ce garçon toujours étonné, joué par Thomas Dekker, étudie à la fac où il partage son temps entre une meilleure amie lesbienne et une fuck buddy pas farouche (Haley Bennett et Juno Temple, toutes deux excellentes, comme toujours le sont les femmes chez Araki), quand il ne rêve pas de se taper son coloc blond, surfeur et hétéro (Thor, qui donne au film ses passages les plus drôles).

Mais, très vite, ce décor de comédie teenage devient le théâtre de bizarreries stupéfiantes. Le film alterne ainsi entre bavardages de plus en plus absurdes, dans des chambres d’étudiants ou des bars, et hallus typiquement arakiennes : vilains masqués et kidnappeurs, soirées éthérées, coucheries multiples entre belles personnes…

Tout ceci, sexe, babil et manigances, se joue plein pot, en quatrième vitesse, sur fond de pop planante, de société secrète et de fin du monde, comme du Rivette gavé d’ecsta : c’est sûr, Los Angeles leur appartient.

Premier constat : il y a là suffisamment de fiction pour alimenter une série de plusieurs saisons – seulement, pas de chance, Araki n’a qu’une heure trente (lire encadré).

Certes, Nowhere s’alimentait déjà au biberon des soaps nineties (Beverly Hills 90210 en tête), mais Kaboom le fait avec à la fois plus d’entrain et de rigueur, délesté de la furie nihiliste qui abîmait son prédécesseur.

Formellement, Araki délaisse le style convulsif de la trilogie pour se rapprocher de celui, plus mature, de Mysterious Skin. Un nouveau classicisme se joue là, où il s’agit surtout d’enregistrer, sur un mode mi-joyeux, mi-désabusé, une parole devenue hystérique et autonome, comme d’ailleurs dans le prochain Social Network de David Fincher.

Au lieu de se percuter, comme jadis, telles des billes de flipper flippées, Smith, Thor, Stella, Rex et les autres semblent flotter dans un univers aux couleurs éclatantes (HD oblige), où bavent leur désinvolture et leurs fantasmes miraculeusement accessibles.

Contrairement à leurs contemporains de chez Xavier Dolan, ces jeunes gens aux prénoms magiques n’ont ainsi pas à s’inventer des “amours imaginaires”, et pour cause : l’imaginaire est déjà leur réel.

Kaboom pourrait n’être qu’une sucrerie inconséquente, un plaisir acidulé comme l’était le précédent Smiley Face (2007). Ce ne serait déjà pas négligeable ; mais c’est mieux que ça. Car discrètement, Araki ne cesse de nous rappeler que la mort rôde derrière chaque brique des bâtiments fiers et élancés du campus.

C’est un cake grouillant de vers, c’est une tarte aux cerises qui dessine des entrailles, c’est une déjection canine qui traîne sur la pelouse trop verte (déjà, dans Nowhere, un sandwich moisi annonçait la fin de l’idylle) : retrouvant d’une certaine façon le geste des peintres de vanités du XVIIe siècle, le puritanisme en moins, Araki dépose des indices rappelant que tout est amené à dépérir, à mourir, et teinte son film d’une gravité secrète, tout en réaffirmant la possibilité du sensuel.

Pour le poète T. S. Eliot, le monde est censé disparaître “non pas sur un boom, mais sur un gémissement”. De fait, Araki semble s’être ici donné pour seule ambition de combiner les deux, de faire en sorte que le gémissement et l’explosion soient simultanés, et surtout extatiques.

Autrement dit, que la seule mort souhaitable soit la petite.

lesinrocks.com

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